Notre histoire peut-elle se lire dans notre corps ? Oui, elles se voit et se révèle aux yeux de ceux qui veulent bien voir. Aux sens de ceux qui veulent bien ressentir. Aux yeux de ceux qui ont aussi appris à voir la dynamique d’une posture : des épaules enroulées vers l’avant qui semblent porter un fardeau et émanent une grande tristesse, un plexus solaire affaissé qui semble avoir reçu un coup et contient sa colère, un manque de torsion dans la colonne vertébrale qui signe une contrariété profonde, etc. La pratique du Wutao® (1) permet cette lecture, cette prise de conscience et cette écoute sensible de soi et de l’autre. Elle permet aussi de défroisser les empreintes de notre histoire inscrites, imprimées dans le corps, nos postures et nos dynamiques de mouvement. Elles sont appelées les « plis » de l’âme.
La vie veut vivre et la Conscience se manifester
« La vie est enthousiasme. La vie veut vivre ». Voilà ce qu’ont pu observer les créateurs du Wutao, Pol Charoy et Imanou Risselard. Que notre âme soit meurtrie, abîmée ou non par les événements de l’histoire, le courant de vie, lui, suit le chemin qu’il peut emprunter, coûte que coûte, sans se soucier si ce chemin est cabossé, tortueux ou fluide. La vie s’immisce, s’infiltre, rayonne, se diffuse tandis que le corps ploie et se déploie, se tord et se détord, se tend et se détend, se mobilise et se fige sous l’effet d’élans vitaux réprimés ou libérés, d’émotions retenues ou manifestées, de paroles tues ou exprimées, d’un sacré bafoué ou consacré. La Conscience, quant à elle, se love dans les « plis » de notre corporalité (2) : au détour d’une cavité, d’une circonvolution cellulaire, au plus près de notre noyau psychotique. Car notre essence divine vit à proximité de notre faille la plus intime. Elle fusionne avec elle. En se manifestant, la Conscience réactive alors les souffrances que l’âme a engrammées dans son être profond. Progressivement, la pratique du Wutao ouvre de nouveaux chemins, crée de nouvelles circulations et défroisse délicatement les plis de l’âme comme elle défroisserait les pétales d’un coquelicot. Les empreintes de notre histoire se dissolvent. La Conscience émerge peu à peu et commence par imprégner pleinement l’ensemble de l’être. Mais pourquoi la Conscience n’est-elle pas plus présente à chaque instant en nous ?
Changer notre écoute du corps
Au cœur de nos difficultés se trouve une approche de notre corps souvent inadaptée. Nous le maltraitons au lieu d’en prendre soin. Nous le durcissons au lieu de l’assouplir. Nous le dominons au lieu de l’écouter. Par l’éveil de notre intelligence sensorielle, nous pouvons cependant accéder à une nouvelle conscience de notre corps, plus intime, plus délicate. Nous pouvons redécouvrir tous ses potentiels, les vertus cachées de nos émotions, le plaisir subtil de nos sensations. En développant nos perceptions en même temps que nous harmonisons le rapport à nous-même, à l’autre et à notre environnement. En réapprenant à écouter et à ressentir. A vivre notre être plutôt que le paraître. Le retour à l’essentiel de notre vie se fait alors naturellement. Spontanément. Dans la joie, la jubilation et la simplicité d’être là. D’exister. Sans rien avoir à prouver. Les tensions peu à peu s’effacent. Le corps se dénoue. Les pensées sont plus légères, plus créatrices aussi. Les émotions peuvent s’exprimer avec douceur. Ce que nous sommes authentiquement peut enfin se révéler. Pour éveiller cette intelligence sensorielle, il nous suffit de nous reconnecter à l’origine de la vie : une pulsation.
A l’origine du mouvement, une pulsation…
A l’origine du mouvement, à l’origine de la vie, une pulsation. Elle nous accompagne depuis notre conception, mais à la suite d’événements douloureux, ou tout simplement, en nous développant, en grandissant, nous la perdons. Elle nous échappe. Il est cependant possible de la retrouver, de nous y reconnecter, comme si l’on se reconnectait à l’univers. Comme si l’on se reconnectait à la vie… L’essence de la pratique du Wutao est de nous remettre en lien et en résonance avec cette sensation. Comment ? Grâce à la remise en mouvement de notre bassin à travers deux « lâchers » : celui du plancher pubo-pelvien et celui du coccyx-sacrum. Peu à peu, nous retrouvons cette sensation : douce, moelleuse, chaleureuse, diffuse. Et notre colonne vertébrale peut se déployer, l’onde de vie nous traverser.
La libération de l’onde de vie
Une onde de vie nous traverse et nous anime depuis notre naissance. Garante de notre épanouissement, elle est malheureusement souvent entravée. La pratique du Wutao la réveille et accompagne sa libre circulation. Le lâcher-prise dans notre bassin lui permet de se déployer à travers toute notre colonne vertébrale. Sans effort. Sans heurt. Dans une écologie corporelle. Elle est appelée en Wutao le Mouvement Pulsatoire et Ondulatoire Primordial. C’est en observant et en expérimentant, il y a maintenant de nombreuses années, les mouvements spontanés déclenchés en bio-énergétique reichienne par les « acting » que les créateurs du Wutao ont fait émerger ce mouvement. Les acting sont des postures d’activation qui font apparaître des zones de blocage et de rétention dans notre corps. Ils permettent également de libérer ces zones. Pol Charoy et Imanou Risselard ont pu constater que l’énergie, accumulée et bloquée dans ces zones de tension, venait comme « frapper » contre elles de manière pulsatoire avant qu’un passage se libère… sous la forme d’une onde. L’onde entraînait alors dans son sillage la libération de la stase émotionnelle enkystée jusqu’alors. C’est pourquoi, bien des années plus tard, ils ont axé la pratique du Wutao sur le déploiement de cette onde que Wilhelm Reich appelle « orgastique (3) ».
L’onde de vie entravée
Wilhelm Reich décrit la réalité physiologique et énergétique de ses observations cliniques sous la forme de sept anneaux qui s’enroulent tel un cocon autour de notre colonne vertébrale. Le mouvement vivant et vibratoire de cette enveloppe se meut et se déplace alors comme une onde. Elle prend naissance au niveau de notre bassin, siège de notre puissante énergie sexuelle originelle, et s’épanouit pour nourrir les différentes fonctions de nos organes, de nos sens et de notre psyché. Le déploiement de l’onde distribue alors la force et l’énergie nécessaires à l’expression « vertueuse » de notre âme. L’onde cherche ainsi naturellement à se propager et à se diffuser, mais des refoulements d’ordre émotionnel (l’émotion étant une manifestation du mouvement énergétique) peuvent l’en empêcher. Un ou plusieurs anneaux se resserrent alors, bloquent et arrêtent la circulation de l’onde. Des troubles physiques et psychiques peuvent apparaître empêchant l’épanouissement de notre âme. Par exemple, si l’onde ne peut atteindre le cœur, nous risquons de souffrir de pathologies cardiaques, adopter des comportements hargneux, ou tout simplement éprouver des difficultés à exprimer ou à recevoir l’amour. En Wutao, cette onde a été rebaptisée « primordiale », car c’est animé par ce mouvement pulsatoire et ondulatoire que l’embryon se développe.
La « danse » des diaphragmes
Pour accompagner le déploiement de l’onde et restaurer la fluidité de notre colonne vertébrale, il est nécessaire de redonner du mouvement aux trois diaphragmes de notre corps, trois zones de mobilité et d’alchimie, trois planchers de nos centres physiques et énergétiques :
› Le diaphragme pubo-pelvien est situé au niveau du pubis. C’est le plancher d’appui du 1er Dan Tian (chaudron énergétique taoïste). Contracter ce diaphragme limite l’énergie sexuelle et son épanouissement au niveau de la sphère génitale.
› Le diaphragme du plexus solaire est le plus puissant et le plus ample. Sa tension et sa contraction peuvent littéralement nous couper en deux (4) et entraîner, outre des désagréments gastriques, une scission des besoins et des émotions.
› Le diaphragme de la ceinture scapulaire comprend la mobilité des clavicules (5). Les clavicules sont considérées dans le chant lyrique comme des clés, c’est-à-dire des portes pour atteindre la « voix des anges » que sont les voix de tête. En relation avec l’énergie sexuelle (à la puberté, la voix mue en même temps que la sphère génitale), ce centre contracté empêche la pulsion procréatrice de se transcender en un élan créatif individuel.
En fluidifiant nos trois diaphragmes, nous pouvons « conscientiser » et peu à peu libérer les zones dites « muettes » en Wutao, des zones de blocage ou de refoulement psycho-énergétique. Il ne s’agit pas là de « forcer le passage », car cela risquerait de renforcer la cuirasse corporelle et ses résistances, mais au contraire de prendre contact avec ces parties de nous-mêmes pour qu’elles nous révèlent leur histoire.
Le sentiment du geste
Pour favoriser la fluidité de nos diaphragmes, nous reconnecter à la source primordiale de notre « humanitude », le sentiment en est la clé. Nous sommes avant tout des êtres sensitifs, de sentiments et d’émotions, en échange et en partage permanent avec tout ce qui nous entoure. Quand le sentiment nous anime et nous traverse, nous pouvons alors retrouver l’origine, l’inspiration, l’essence primordiale et sacrée de l’état qui précède le geste. Malheureusement, souvent envahis par la souffrance, quelle que soit la forme sous laquelle elle se manifeste (stress, dépression, douleurs physiques), nous nous éloignons peu à peu de cette simplicité. Dans la pratique du Wutao, on « tombe » dans le sentiment du geste, comme on « tombe amoureux », ou comme le disent nos voisins canadiens, on « rentre en amour ». De même que nous n’apprenons pas à notre cœur comment battre, l’origine du geste a ce même naturel et cette même nécessité pour que s’épanouisse l’âme de notre corps. Nous devons donc retrouver ce quelque chose de naturel, comme respirer, aimer, se recueillir, se protéger, rentrer en ex-tase ou en in-tase. Dans un moment de bonheur et de félicité par exemple, l’état, le ressenti, le sentiment amènent le corps à s’ouvrir tout naturellement. Cette ouverture s’accompagne d’un sentiment de vulnérabilité lié à l’exposition de l’avant de notre corps (antérieur-Yin) particulièrement sensible. Cet espace doux et tendre est celui qui se prépare pour accueillir quelqu’un dans ses bras : l’amant(e), l’enfant ou l’ami(e).
Imaginons retrouver cette sensation un soir de pleine lune, dans un moment de contemplation où tout notre être s’ouvre aux mystères du monde. Imaginons entrer en résonance avec de lointains ancêtres qui, devant le mystère engendré par l’astre lunaire, ont éprouvé et offert les premiers gestes d’interrogation, de recueillement, de prière ou de communion à l’univers.
A l’inverse, nous pouvons aussi imaginer, dans un moment de douleur, de peur ou de tristesse, ou tout simplement devant l’une des manifestations impressionnantes de la nature, comme une tempête ou un orage, notre corps qui s’enroule naturellement sur lui-même, déployant avec force toute l’énergie de son dos (postérieur-Yang) comme pour s’envelopper et se protéger. Un peu comme si nous nous enroulions dans une couverture… Ainsi nous sommes sans cesse animés par ces énergies, ces sentiments et ces mouvements primordiaux. C’est en nous, mais nous n’en avons plus conscience. Ils sont comme oubliés. Eteints. Egarés dans le rythme soutenu de notre quotidien où sévit le stress, où rumine et bourdonne notre mental. Il semblerait pourtant qu’aujourd’hui, nous soyons de plus en plus nombreux à vouloir retrouver cette connexion. Retrouver cet élan vital et naturel.
Inspirer… expirer…
Lorsqu’on dit d’un artiste qu’ « il est habité par… », cela signifie qu’il a du talent. Mais que se passe-t-il pour que tout le public le sente habité et qu’il en soit touché ? L’artiste est inspiré… Oui, voilà, le mot est dit : « inspiré ». Le souffle « divin », sacré, est descendu en lui. Pourquoi ? Parce qu’il l’a laissé entrer. Et oui, il est « en transe », c’est-à-dire qu’il est traversé par une transcendance, un état de grâce, ce je-ne-sais-quoi au-delà de lui, au-delà de sa persona (son masque), à la différence d’une personne dite « possédée », qui se trouve sous une emprise. Le pratiquant de Wutao se laisse animer, traverser et transcender par le souffle : une pulsation… un inspir… un silence respiratoire… un expir… un silence respiratoire… C’est la respiration, l’espace du passage, la conscience du cycle, d’un air substantiel présent dans l’atmosphère et qui sans cesse entre en nous et en ressort. Nous pouvons cultiver la qualité de notre respiration pour faire en sorte que l’air entre avec facilité et gourmandise et qu’il en sorte avec douceur et générosité. Nous pouvons en goûter sa substantifique essence ou en filtrer les toxines. Et puis, nous pouvons aussi vivre le souffle et ne plus percevoir seulement l’air, mais aussi ce mouvement pulsatoire, au-delà de l’atmosphère, au-delà de la Terre, qui nous lie intimement au cosmos ; ce mouvement d’expansion et « d’impansion » que nous pouvons cultiver en nous-même et en harmonie avec l’univers : j’incarne le souffle et le souffle m’incarne. En nous percevant et en nous vivant Un, en cultivant le cycle de notre respiration et le rythme pulsatoire de notre souffle, nous incarnons la globalité, pas seulement dans notre humanité, pas seulement en tant qu’habitant-citoyen de la Terre, mais comme faisant corps fondamentalement, dans notre expression la plus primordiale, avec l’univers. La vie nous traverse alors… Une vie épanouie, « intégrale », telle que la décrit Noguchi et après lui, Itsuo Tsuda (6). Une vie pleinement vécue. Où tout notre être fleurit se révélant à lui-même et aux autres. Nous trouvons dès lors le dynamisme et la vitalité nécessaires pour incarner nos aspirations les plus profondes.